Gargantua, Rabelais 1532

  • Mouvements de l'oeuvre:
  1. Deux avertissements: Au lecteurs, prologue
  2. La naissance et l'adolescence de Gargantua (chapitres 1 à 13)
  3. La première éducation: l'éducation médiévale (chapitres 14-15 et 20 à 22)
  4. Un récit enchâssé: l'épisode des cloches de Notre-Dame (chapitres 16 à 19)
  5. La seconde éducation: l'éducation humaniste (chapitres 23-24)
  6. Les guerres picrocholines (chapitres 25 à 51)
  7. L'abbaye de Thélème (chapitres 52 à 57)
  8. Conclusion: énigme en prophétie (chapitre 58)
Plus simplement, on peut diviser l'oeuvre en trois grands thème: l'éducation, la guerre, le redressement de la paix avec l'édification d'une abbaye.
  • Personnages:
  1. Gargantua: héros éponyme du roman (c'est-à-dire qu'il donne son nom à l'oeuvre entière), il est le fils de Grandgousier et de Gargamelle. Il est un personnage fantastique: c'est un géant et il naît par l'oreille de sa mère. 
  2. Grandgousier: géant, père de Gargantua,roi généreux, pacifique et magnanime.
  3. Gargamelle: Mère de Gargantua, elle accouche après l'avoir porté onze mois. Appétit immense cause de l'accouchement. Elle meurt de joie lorsque Gargantua rentre de Paris.
  4. Maitre Thubal Holoferne: premier maître de Gargantua, sophiste.
  5. Eudémon: jeune page, élève de Ponocrates, devient le compagnon de Gargantua à Paris.
  6. Ponocrates: pédagogue d'Eudémon et de Gargantua, il les soumet à un rythme soutenu et à une meilleure hygiène de vie.
  7. Gymnaste: Enseigne l'art de la chevalerie à Gargantua.
  8. Janotus de Bragmardo: vieux sophiste de la Sorbonne qui fait un discours sans queue ni tête pour récupérer les cloches. Il se ridiculise et provoque l'hilarité générale.
  9. Ulrich Gallet: ambassadeur de Grandgousier auprès de Picrochole, il fait un discours pour éviter la paix, en vain.
  10. Touscquedillon: Fait prisonnier par Frère Jean, il est convaincu par les paroles de paix de Grandgousier et les rapporte à Picrochole. Il échoue à le convaincre d'arrêter la guerre, tue Hastiveau et est lui-même tué par les hommes de Picrochole.
  11. Picrochole: roi voisin de Grandgousier, colérique, impulsif, déclare la guerre sur les motifs d'une simple querelle.
  12. Frère Jean: Moine, il défend l'abbaye contre l'armée de Picrochole, participe à la guerre aux côtés de Gargantua. C'est pour le récompenser que Gargantua fonde l'abbaye de Thélème.

- Picrochole et Grandgousier, chacun représentés par un groupe à leur image, respectivement un groupe de "sots" et un groupe humaniste. (voir la partie sur les guerres)- Les moines et Frère Jean. (voir la partie sur la religion)- Toucquedillon est lui comme un personnage intermédiaire: il est le seul dont on a pas une vision manichéenne.  En effet il évolue et change: durant la guerre il change de côté, converti par Grandgousier, ce qui lui vaudra la mort.

  • Aux lecteurs:
Rôle: ce dizain sert à prévenir le lecteur de quelque chose qui pourrait choquer, mais aussi à former une complicité avec lui.
Dizain:
- vers 1: apostrophe le lecteur pour le mettre dans un état favorable vis-à-vis de l'oeuvre avant qu'il ne commence sa lecture.
- vers 2:  Il faut garder l'esprit ouvert, être objectif et sans a-priori. Rappel nécessaire car l'éducation médiévale contraint la façon de penser.
- vers 6, 9 et 10: répétition du verbe rire. Le but est d'intéresser le lecteur et le faire accéder à  la sagesse par le rire car celui-ci nous tourne vers l'extérieur. De plus le lecteur est actif. "Le rire est le propre de l'homme" est une citation d'Aristote, preuve de l'intérêt des humanistes pour l'Antiquité.
  • Prologue:

Deux champs de lecture sont possibles:
- le rire, superficiel, l'environnement festif, l'humour cru parfois grossier
- une mise en garde qui donnent les clefs de lecture: les métaphores de la boite et de l'os indiquent que le lecteur doit avoir une lecture assidue, une attitude de recherche et de réflexion.

Rabelais se met directement en scène:
- Il fait référence à lui-même comme auteur et comme bon-vivant.
- Il s'adresse directement au lecteur.

Des références aux intellectuels antiques (notamment Platon, qui est prétexte à une réflexion sur l'être et le paraître), donnent un poids littéraire à son oeuvre.
Des éléments déjà ancrent dans le texte: par le style (énumérations) et par le thème ("en ce qui concerne tant notre religion que, aussi, la situation politique et la gestion des affaires").

  • Chapitre 1: De la généalogie et antiquité de Gargantua
- Gargantua est la suite d'une histoire qui semble véridique, or c'est un géant totalement fictif. De plus l'auteur détruit lui-même cette filiation: l'inscription étrusque "ici l'on boit", les neufs flacons disposés comme les quilles de Gascogne... Cela casse l'effet de réalisme qui est donné par le contexte archéologique.
- L'auteur s'inscrit dans son texte, or c'est un récit, il n'y a donc pas sa place. De plus sa représentation est non conforme à la réalité: il descendrait de rois ou de princes.
  • La naissance de Gargantua et son enfance
Le personnage principal n'est pas introduit dès le premier chapitre.
Il naît de façon fabuleuse, par l'oreille de sa mère, après que celle-ci ait mangé trop de tripes. Cela l'apparente au héros antique, notamment à Dionysos qui est sorti de la cuisse de son père, Jupiter. Gargantua possède aussi le langage dès naissance, ce qui le rattache au merveilleux, mais aussi au comique, puisqu’il crie "A boire! A boire!".


De plus l'auteur fait un discours argumentatif pour convaincre de la vraisemblance de la situation, le sujet est élargi pour détourner l'attention du lecteur et attiser sa curiosité (voir prologue et le sens caché des choses). Cependant toutes ces justifications sont trop nombreuses et relèvent du mythe: cela nuit au réalisme. Pline est même invoqué comme argument d'autorité, mais Rabelais le qualifie de menteur.

La naissance est rapportée avec des termes techniques ("veine creuse", "diaphragme"), preuves de la connaissance du corps et de son fonctionnement de Rabelais puisqu'il était médecin. Il montre une volonté de décrire précisément. Mais l'effet visuel est révulsant: il insiste en effet sur la confusion entre l'enfant et les excréments ''de goût assez désagréable''. La naissance est donc totalement désacralisée, elle est au contraire merveilleuse. La Sorbonne a jugé ce moment blasphématoire, et des passages ont été supprimé des les éditions postérieures. C'est en effet une critique voilée de la lecture de la Bible que Rabelais propose. Si certains contestent la véracité de la naissance de Gargantua, le narrateur répond que si Dieu l'avait voulu, cela aurait été possible. Il compare implicitement l'immaculée conception et l'impossibilité pour Gargamelle d'accoucher normalement.

  • Chapitre 13: Comment Grandgousier reconnut à l'invention d'un torche-cul la merveilleuse intelligence de Gargantua.

Transformer un objet en torche-cul, c'est avant tout le rabaisser: le choix de objets que prend Gargantua n'est pas dû au hasard, il est dicté par une logique. Par exemple, les cinq premiers torcheculs servent à couvrir le visage et la tête (cache-nez, chaperon, cache-cols, cache-oreilles et bonnet de page). Ainsi le bas et le haut sont permutés.

Les objets, ayant une nouvelle utilité, renaissent à notre perception par une orientation imprévue. Ils peuvent devenir dynamiques, c'est-à-dire qu'ils sont acteurs. C'est le cas du chat, grâce auquel une scène comique s'offre au lecteur. On voit de plus défiler l'univers qui entoure l'homme, grâce à la diversité et à la longueur de la liste. Ce quotidien nous apprait différemment, rénové dans son utilité.

Le dernier torchecul amène le motif de la volupté et de la béatitude, qui se communique à tous les corps. Cette volupté est semblable à celle des héros et des dieux au Champs-Elysées.

Pourquoi Grandgousier est-il si fier de son fils?
- Il vient de prouver sa curiosité, sa détermination et son esprit expérimental.
- Il a montré un effort intellectuel en retenant des rondeaux.

Le dernier torchecul amène le motif de la volupté et de la béatitude, qui se communique à tous les corps. Cette volupté est semblable à celle des héros et des dieux au Champs-Elysées.


On peut rapprocher cet épisode à celui des chevaux factices.

  • Les méthodes d'éducation dans Gargantua
Deux éducations sont opposées dans ce livre: l'éducation médiévale et l'éducation humaniste.

A propos de l'éducation médiévale:

Le traitement du corps
- nourriture abondante
- pas d'activité physique
- pas d'hygiène
→ négligence face au corps
→ pas de lien entre le corps et l'esprit
→ pas de vue sur le long terme : attitude qui peut être dangereuse pour la santé.
Le traitement de l'esprit
- éducation répétitive, ennuyeuse et fastidieuse
- le but est simplement de s'occuper pour lutter contre le temps
- pas de variété dans le contenu de l'apprentissage, répétition
- lenteur (voir la partie sur le temps)
- en latin : pas de traduction, donc pas de compréhension, d'interprétation et d'analyse possible. L'élève se contente donc de réciter tel quel.
Les personnages qui incarnent cette éducation
- Holoferne et Bridé : ils ne sont capables que de lire et de faire apprendre. Ils n'entretiennent pas d'échanges avec leurs élèves.
- Janotus de Bragmardo : bêtises dans son discours pour récupérer les cloches. A travers lui, c'est toute la Sorbonne qui est ridiculisée.


Au contraire, l'éducation humaniste est présentée de façon élogieuse: elle permet de raisonner, de développer son esprit critique et l'autonomie de l'individu.

Le rapport au corps
- la nécessité du sport quelques heures par jours, activités de chevalerie
- nourriture à heure fixe, de l'ordre du nécessaire et non du quantitatif
- analyse ce qu'il mange, d'où la nourriture provient
L'esprit
- Tout est prétexte à discuter sur ses leçons, cela permet de mieux apprendre et surtout de mieux comprendre
- apprentissage des langues pour pouvoir interpréter les textes
Les personnages incarnant cette éducation
- la confiance entre le maître et l'élève permet la discussion
- Ponocrates : connotation grecque dans son nom qui inspire le respect, le savoir.



Ces deux éducations sont mise en pratique durant la guerre et à travers l'abbaye de Thélème.

Gargantua est donc un traité un traité d'éducation humaniste dont le but est d'éduquer un prince. Les humanistes ont la conviction qu'un prince bien éduqué sera un bon roi, et donc que le pays sera bien gouverné.
voir aussi: Érasme, Institutions d'un prince chrétien, 1516

  • Chapitres 16 à 20: Gargantua séjourne à Paris et vole les cloches de Notre-Dame.

Quel sens peut-on donner à cette digression?

Cet épisode marque une transition entre les deux éducations:

- Il est la conséquence de l'éducation médiéval. Gargantua fait preuve d'une réaction impulsive en volant ces cloches. Il agit selon ses désirs, alors qu'au départ il monte sur le clocher pour fuir les parisiens. Le vol traduit un acte immédiat, sans réfléchir aux conséquences. Il ne prend pas en compte la valeur religieuse des cloches: pour Gargantua, ce ne sont que des éléments de décoration qui ornent la cathédrale. Il montre ainsi un certain irrespect des parisiens: il se place au-dessus d'eux et leur urine dessus.

- Mais il est aussi la mise en pratique de l'éducation humaniste. Gargantua voyage à Paris dans le but d'entrer dans cette nouvelle éducation, il symbolise le trait d'union entre les deux éducations, un peu comme une métaphore d'une ouverture d'esprit.

Ponocrates sert de contre-poids face à Janotus: il se montre lui discret et plus réfléchi. Janotus de Bragmardo est un théologien ridicule qui tente de récupérer les cloches, alors même qu'elles ont déjà été rendues. Son prénom, Janotus, laisse présager quelqu'un d'érudit, or cet effet en détruit par son nom de famille à consonance populaire. Il est égoïste et  cupide: il ne fait ce discours, par ailleurs mauvais, que dans le but d'obtenir quelque vêtements, et non pour récupérer les cloches.

  • Les guerres picrocholines
La guerre est tout d'abord un élément narratif dans Gargantua.
Cet épisode est une parodie de l'épopée. 
  • Un roman chronologique
On peut ainsi suivre l'évolution du personnage principal, de sa petite enfance à son age adulte. (Cela rappelle les romans d'apprentissage.) Cette organisation en quatre temps (naissance, éducation, guerre et religion) est pratique car cela permet des digressions: par exemple à propos de la naissance, Rabelais s'interroge sur la question juridique des enfants dont le père est mort avant la naissance, ou bien à propos des vêtements, il divague sur la symbolique des couleurs.

Le temps n'a pas toujours la même valeur tout au long de ce roman:
- Jusqu'à sa première éducation, le temps a une valeur humaine, en mois et en années.
- Sa première éducation est marquée par une lenteur importante. Ainsi Gargantua met-il  cinq ans pour apprendre l'alphabet, treize autres années pour lire et recopier deux livres... L’inefficacité de l'ancienne éducation est mise en valeur, elle est présentée comme fastidieuse.
- Au contraire, la seconde éducation est décrite sur un autre beaucoup plus accéléré. Cela montre par contraste l'efficacité de cette éducation humaniste dans laquelle il n'y a pas de temps perdu. A noter que cette nouvelle méthode d'apprentissage est décrite par deux chapitres contre cinq pour l'éducation médiévale.
- Durant les guerres picrocholines, le temps est toujours rapide. Cela semble logique puisque il y a une multitude d'action et peut être aussi parce que c'est la mise en pratique de l'humanisme (toujours ce même soucis d'efficacité donc).
- Dans l'abbaye de Thélème, le temps plus lent, presque suspendu: c'est en effet un lieu de calme.
Le temps est donc symbolique du contenu de chaque épisode.

  • Le comique
On remarque aussi que Rabelais utilise des jeux de mots pour nommer ses personnages. (voir la partie sur le comique)
Les appétits naturels de l'homme sont glorifiés, tels le goût de la nourriture et de la boisson: Grandgousier continue à s’enivrer bien que sa femme accouche. De plus au chapitre précédant la naissance nous sont rapportés les propos des bien-ivres, faisant l'éloge de la boisson, des femmes et de la nourriture.







Récapitulatif des points abordés dans cet article:
- Mouvements de l'oeuvre
- Personnages
- Au lecteur
- Prologue
- Chapitre 1: De la généalogie et antiquité de Gargantua
- La naissance de Gargantua et son enfance
Chapitre 13: Comment Grandgousier reconnut à l'invention d'un torche-cul la merveilleuse intelligence de Gargantua.
- Les méthodes d'éducation dans Gargantua
Chapitres 16 à 20: Gargantua séjourne à Paris et vole les cloches de Notre-Dame.
Les guerres picrocholines
Un roman chronologique
Le comique

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